24h du Mans 1969 : Anthologie puissance Ickx


Le Mans, 14 juin 1969. Il y a presque 50 ans.  Le départ, de ce qui est sans doute la course de la décennie, est donné. Le tracé de 1956, long de 13,461 km,  avec sa ligne droite des stands élargie, celle des Hunaudières sans chicane et la courbe Dunlop modifiée suite à la catastrophe de 1955 va offrir un spectacle fabuleux sous un temps radieux.

Les équipages sont constitués de deux pilotes au lieu de trois aujourd’hui. Ils viennent pour la plupart de Formule 1 et Formule Indy. Les catégories se résument aux Sports prototypes, Sport et GT.

Porsche en trouble fête ?

Ford domine outrageusement la compétition depuis 1966 avec ses Ford GT 40. Porsche, qui n’a encore jamais gagné déploie des moyens considérables et  annonce clairement la couleur : la victoire. Pour atteindre cet objectif, l’usine construit la fameuse 917, qu’on appellera par la suite « la machine à gagner » (vainqueur des éditions 1970 et 1971).

Fort GT 40

En seulement dix mois, la Porsche 917 est développée. Elle est animée par un moteur 5L/ 12 cylindres et composée de nombreux éléments en titane et  magnésium. Cependant, la voiture est très délicate à conduire et sa tenue de route est très compliquée à haute vitesse, les pilotes officiels Hans Herrmann et le français Gérard Larrousse notamment ne sont pas vraiment rassurés. Elle pulvérise les records avec un tour à plus de 240 km/h de moyenne et des pointes à 340 km/h dans les Hunaudières lors des premiers essais.

La bataille s’annonce rude avec  Ford. Jacky Ickx rempile avec la GT40 1075, la voiture qui a remporté l’épreuve l’année précédente avec Pedro Rodriguez et Lucien Bianchi. Le solide V8 4,9L Ford a déjà fait ses preuves en remportant déjà deux fois les 24 heures du Mans.

Test & crash pour Matra

Anecdote de cette édition et non des moindres Matra prépare une version fermée aérodynamique sur base du modèle 630. Dotée d’un moteur de 430cv, sa carrosserie de type fermée est le résultat du travail de l’aérodynamicien Robert Choulet et affiche un Cx stupéfiant, inférieur à 0,25. Elle promet des vitesses folles annoncées à 400 Km/h. Terminée trop tard, elle ne peut participer aux essais préliminaires d’avril et affiche une vilaine tendance au cabrage. Des essais d’avril qui verront le décès de Lucien Bianchi au volant de son Alfa Roméo spyder 33, au bout de la ligne droite des Hunaudières. Un premier shakedown est réalisé sur l’aérodrome à Sézanne  « J’avais atteint 290km/h. A cette vitesse, j’avais constaté un net délestement de l’avant, mais qui n’avait pas atteint un seuil critique » explique à l’époque Henri Pescarolo. Suite à ce test, Matra obtient une autorisation d’utiliser la droite des Hunaudières pour effectuer des essais le 16 avril 1969.

Matra 640 de Pescarolo

C’est Pescarolo qui s’y colle. En 5e, il franchit avec la Matra 640 le croisement entre la route de Tours et la départementale 92 à 250 km/h. La piste bosselée des Hunaudières propulse la M640 dans les airs dans un silence absolu « J’ai alors ressenti une impression extraordinaire. En effet, dès que l’avant s’était levé, je m’étais mis debout sur les freins. Mais comme les roues arrière avaient décollé aussi, ceci a eu pour effet d’arrêter le moteur. Je me suis donc retrouvé aux alentours de 250-260 km/h dans un silence absolu, à la hauteur de la cime des arbres. Sachant que dans la seconde qui suivait, j’allais mourir » raconte Pesca.

Accident d’Henri Pescarolo

L’auto est pulvérisée.  Pescarolo est brûlé, fait un malaise… mais dans un sursaut parvient à sortir de la carcasse de la 640… Il se jette dans le cours d’eau le plus proche. Un spectateur  l’enroule dans son manteau pour finir d’étouffer les flammes. Toute une époque !

Gravement blessé, il reste éloigné des circuits pendant de longs mois ce qui met fin au programme de Matra pour cette version. Matra décide de présenter la barquette 650 à queue longue  animée d’un V12 Matra de 3L développant 470 cv, pour un poids de 740 kg. Le son très particulier du V12 différencie la voiture de toutes les autres.

Autre grand constructeur présent, Ferrari, qui cette année-là fait son come back. Une année de transition pour la  Scuderia, en vue de concurrencer  les Porsche 917 à l’avenir.

Un départ collector

Départ du Mans 1969 avec en arrière plan Jacky Ickx en mode “pas de sénateur”…

Le départ de l’épreuve est donné exceptionnellement à 14 h en raison d’élections présidentielles. Cette 37e édition est à marquer d’un sceau princier. C’est en effet la dernière édition durant laquelle les coureurs partent en courant vers leur voiture, placée en épi, depuis le côté opposé de la piste. Un an plus tôt, Willy Mairesse n’a pas bien fermé sa porte. Elle s’arrache de la Ford GT 40 jaune. Le pilote, grièvement blessé à la tête, ne s’est pas attaché ! Mairesse ne s’en remettra jamais et se suicide en septembre 1969. Jacky Ickx, qui n’approuvait pas ce type de départ dit « Le Mans » part bon dernier en signe de protestation, après avoir marché vers sa voiture, s’être installé tranquillement et  bouclé sa ceinture de sécurité. Certains pilotes ne s’attachent pas et prennent le risque de boucler leur ceinture à plus de 300 km/h.  Ickx démarre en dernière position.

L’amateur John Woolfe  se tue lors du premier tour. Alors en 12ème position, sa Porsche 917, très difficile à manier, empiète sur l’herbe à Maison Blanche, il perd  le contrôle et  heurte de face le talus. Il est éjecté du véhicule lors de l’impact. Sa voiture, coupée en deux, retourne sur la piste avant d’être prise de plein fouet par la Ferrari 312P, venant en sens inverse, de Chris Amon. Les voitures, encore pleines d’essence, s’enflamment. On évoque une tragique erreur de pilotage. Mais à l’époque, on parle plutôt d’un moment de distraction… il n’aurait pas pris le temps de boucler son harnais.

120 mètres

La Porsche de Gérard Larousse devant la Ford GT 40

Le dimanche vers 11 h 00, la Porsche 917 de Vic Elford casse son embrayage et laisse la tête à la Ford GT40 de Jacky Ickx. La Porsche 908 d’Hermann-Larousse est à un tour et représente le dernier espoir des Porsche. En grignotant l’avance de la Ford, dans l’ultime tour, Hermann arrive se hisser à sa hauteur, mais ne peut finir le dépassement car sa voiture moins puissante est privée de l’aspiration. La Ford de Ickx, de 2 litres supérieure en cylindrée, franchit en tête la ligne d’arrivée. Il manque alors une vingtaine de secondes pour boucler les 24 heures car, du fait de l’ultime attaque de la Porsche, Ickx n’a pu ralentir pour passer la ligne après l’heure. Le drapeau à damier ne s’abaissant pas, les deux pilotes doivent faire un tour supplémentaire. La même scène se répète et Hermann se rue désespérément à l’assaut et se hisse à nouveau à la hauteur de Ickx dans la ligne droite. Les deux voitures ont la même vitesse de pointe, 320 km/h. La Porsche n’est plus rapide qu’en bénéficiant de l’aspiration. Elle se positionne à hauteur de la Ford mais n’a pas les chevaux pour passer devant. Un écart de 120 m, soit la plus courte distance jamais enregistrée, sépare le premier du second après 24h de course !

Jacky Ickx vainqueur mythique de l’édition 1969 pour 120m…

Ickx, parti dernier, entre dans la légende du Mans. Une course rocambolesque, tragique  et palpitante à la fois. La bravoure d’Hermann sera récompensée l’année suivante par une victoire sur une Porsche 917 et Ickx se distinguera une nouvelle fois en 1975 sur une Mirage GR8 Ford Cosworth.

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